Cet article a été initialement publié dans Causes communes, le journal du Parti socialiste Ville de Genève, de juin 2022. Vers l’article original
La surveillance a toujours existé mais le numérique l’a développée et lui a donné un nouveau visage. Si, il y a quelques décennies, on parlait encore de « tables d’écoutes » et d’enregistrements manuels effectués sur bandes magnétiques, les possibilités techniques développées ces dernières années ont augmenté les possibles et donc les dangers que représente cette pratique. Cela se produit sur deux plans. D’une part, le numérique permet de surveiller plus de personnes, à plus d’endroits et plus longtemps. D’autre part, il a aussi marqué une « démocratisation » de la surveillance en ce sens qu’il est devenu très facile pour des entités sans légitimité étatique d’y procéder.
Le premier problème vient tout simplement de la capacité des ordinateurs eux-mêmes. Ces derniers ont la possibilité technique de traiter des informations très nombreuses en très peu de temps. Il est également possible de conserver un grand nombre de données de manière préventive sans savoir si elles auront un jour une utilité. C’est même une obligation légale, notamment pour les opérateurs téléphoniques qui doivent conserver 6 mois toutes les informations sur les communications établies à l’exception du contenu des communications elles-mêmes. Il en découle donc une plus grande « efficacité » de la surveillance. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’une efficacité en termes qualitatifs mais avant tout en termes de temps passé à la surveillance : il y a besoin de moins d’opérateurs humains, moins de pertes de temps et il est donc possible de surveiller plus de personnes dans la même durée.
Les évolutions législatives sont malheureusement trop lentes pour réellement prendre en compte ces changements. Le risque est alors que des méthodes de surveillance se développent avant que les bases légales qui devraient les encadrer ne soient en place. C’est notamment le cas de la reconnaissance faciale, sur laquelle notre groupe au Conseil municipal a déposé récemment une motion. Il en résulte un déficit de légitimité démocratique, ce d’autant plus que les mesures de surveillance sont souvent secrètes quant aux personnes qu’elles visent et que les informations publiquement disponibles peuvent être très complexes à comprendre pour les personnes non-initiées.
Ceci est encore renforcé par le deuxième aspect de ce développement sécuritaire. Les outils de surveillance deviennent plus puissants mais aussi moins chers et moins complexes d’utilisation. Des particuliers ou des entreprises peuvent donc désormais accéder à des technologies auparavant réservées aux pouvoirs publics ou à des spécialistes. Cela implique une extension du champ de la surveillance par exemple avec l’installation de caméras dans chaque magasin. Il en découle aussi qu’il n’existe plus une entité bien déterminée à laquelle s’adresser pour obtenir des informations ou l’accès à ses données personnelles.
Il y a même pire. Selon l’adage d’un certain camp politique, le secteur privé ferait nécessairement mieux que le public car il serait plus « agile » ou « compétitif » et que les bases légales trop contraignantes limiteraient le « progrès ». Il est inquiétant de voir des parlementaires vouloir adopter des lois larges et ainsi laisser au privé le soin de définir ce qui est admissible ou non. Ce faisant, ces élu-es nient leur propre rôle de parlementaire.
Les services officiels de sécurité font donc de plus en plus appel à des entreprises privées en leur externalisant des tâches publiques. Ce faisant, elles abandonnent la maîtrise de leurs processus et des données qu’elles traitent. Ces autorités se soumettent ainsi à des conditions contractuelles imposées par des sociétés privées, ce qui pose la question de leur légitimité par rapport à une loi qui, elle, a été démocratiquement adoptée par le peuple ou ses représentant-es élu-es. Certaines de ces sociétés ont également comme modèle de mettre à la disposition des autorités des informations qu’elles ont elles-mêmes récoltées. L’entreprise Clearview avait fait parler d’elle en 2020 : elle siphonnait les photos disponibles sur les réseaux sociaux pour proposer des services de reconnaissance faciale à des autorités pénales américaines. Certaines polices cantonales avaient semblé être intéressées par ses services, bien que le Préposé fédéral à la protection des données eût clairement indiqué qu’une telle collecte de données personnelles n’était pas conforme au cadre légal suisse.
Il est urgent de prendre conscience des dangers que peuvent représenter ces technologies. Il ne s’agit pas de tomber dans la paranoïa mais d’avoir une approche critique qui comprenne à la fois les outils et leurs enjeux pour leur trouver des parades protégeant nos droits.
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